Pierre Jourde (2/3)

Éperdu d’un pays Bookmakers #10 - L’écrivain du mois : Pierre JourdeNé à Créteil en 1955, Pierre Jourde vit et travaille à Paris. Romancier « complexe », poète aux haïkus « tout foutus », théoricien du « double » ou de « l’authenticité », ce rigoureux professeur de lettres n’est que « secondairement », dit-il, le critique impitoyable que Saint-Germain-des-Prés découvrit avec l’essai « La littérature sans estomac » (L’Esprit des Péninsules, 2002) récompensé par l’Académie Française.Sa reconnaissance fut aussi tardive que l’œuvre est prolifique. Pour se mettre en jambes, on lira d’abord son récit burlesque d’alpinisme amateur, « Le Tibet sans peine » (Gallimard, 2008), avant d’attaquer « Pays perdu » (L’Esprit des Péninsules, 2003, récit intime de son Auvergne « épique »), suivi du compte-rendu de la violente réception de ce texte, formulé dans « La première pierre » (Gallimard, Grand-Prix Jean Giono 2013). Les plus vaillant.e.s chemineront ensuite vers le déchirant « Winter is coming » (2017, ode au fils disparu) ou la somme de toutes ses obsessions : « Le Maréchal absolu » (2012). En partenariat avec Babelio. (2/3) Éperdu d’un pays« Le public n’a pas réellement besoin de lire le livre qu’il a acquis. On s’emploie donc à lui fournir une image de littérature. » L’ouvrage qui sort Pierre Jourde de l’ornière s’intitule « La littérature sans estomac », publié en 2002 par L’Esprit des péninsules et dédié à son frère Bernard « qui connaît la bagarre ». Aussi drôle que sérieux, c’est un recueil d’analyses féroces de romans français contemporains, rédigées « sans volonté d’en faire un pamphlet », mais armées d’un agacement. Dans le milieu littéraire hexagonal, mon invité du mois constate que ce qui gravite « autour du texte » (le sujet abordé, la vie publique et privée de l’artiste, ses opinions, les prix reçus) passe « avant » le texte. Le style, la qualité des intrigues, des idées ou des personnages : tout ceci est secondaire et n’est souvent guère à la hauteur de la réputation de l’auteur.e.Pierre Jourde utilise alors son « arsenal universitaire » pour rétablir la justice, avec « un ton guilleret », en dénonçant – « en défonçant » conviendrait mieux – les « provocations prudentes » de Michel Houellebecq ou les répétitions délirantes de Christine Angot, en démasquant les faux rebelles, « ceux qui chantent faux », sempiternellement « au bord du gouffre », « en proie au vertige » ou « travaillés par le néant », obsédés par la respectabilité ou embourbés dans le pathos. Coïncidence : c’est aussi l’année où il se met à la boxe.Cette prolongation de « La Littérature à l’estomac » de Julien Gracq (1949), qui déplorait déjà ces paradoxes en parlant d’une course « de jockeys chevauchant des limaces », reçoit le prix de la critique de l’Académie Française. Il serait naturellement très excitant pour les auditeurs et auditrices de « Bookmakers » d’en savoir plus, mais nous n’allons pas vous donner ce plaisir. Pour trois raisons. D’abord, parce que Pierre Jourde a raconté cette histoire cent onze fois. Ensuite et surtout, parce que ce serait rejouer ici son drame artistique intime : le fait que son activité de « démolisseur de service », d’« ironiste » qui « cogne », éclipse son talent de romancier. Enfin, parce qu’il reconnaît lui-même que ce bouquin a « beaucoup de défauts ».Nous consacrerons donc ce deuxième épisode à sa véritable naissance en tant qu’écrivain, à 47 ans. Le temps d’un magnifique récit de deuil, « rude », lyrique et mythologique, sur ses origines rurales, situé dans un hameau du Cantal. Titre : « Pays perdu », publié en 2003 chez le même éditeur et écoulé au fil des rééditions à plus de vingt mille exemplaires, pour lequel ce disciple rugueux d’Alexandre Vialatte va « rompre la fiction du secret ». Des années plus tard, encombré d’une polémique doublée d’un malentendu qui lui reste sur l’estomac, il écrira : « C’était un livre qui avait honte d’être fier de ce qu’il décrivait. » Enregistrement : février 2021 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage, musiques originales : Samuel Hirsch - Guitare, claviers, drone : Matthieu Lesenechal - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

Om Podcasten

Bookmakers est un podcast littéraire qui propose d’écouter les écrivains et les écrivaines détailler leurs secrets d’écriture. C’est le récit d’un récit, les coulisses de fabrication d’un livre majeur dans la carrière d’un auteur ou d’une autrice, qui dévoile sa discipline, son rythme et ses méthodes de travail. C’est quoi, le style ? Comment construit-on une intrigue, un personnage ? Où faut-il couper ? Tous les deux mois, Bookmakers écoute les plus grands écrivains et écrivaines d’aujourd’hui raconter, hors de toute promotion, l’étincelle initiale, les recherches, la discipline, les obstacles, le découragement, les coups de collier, la solitude, la première phrase, les relectures… mais aussi le rôle de l'éditeur, de l’argent, la réception critique et publique, le regard sur le texte des années plus tard.Animé par Richard Gaitet, écrivain et homme de radio, le podcast Bookmakers détruit le mythe d’une inspiration divine qui saisirait les auteurs au petit matin. Il rappelle que l'écriture est aussi un métier, un artisanat, un beau travail. Bookmakers c’est le podcast d’un lecteur affamé de romans, d’essais, de contes, de poèmes, de pièces de théâtre, de bandes dessinées, de romans policiers, de nouvelles, de scénarios, de chansons, de sketchs, de traduction et qui dévore tous les genres avec gourmandise : fantasy, science-fiction, anticipation, polar, thrillers, aventures, récits de voyage, romans de gare, littérature érotique, épopées, odyssées, best-seller, page turners, chick lit, littérature expérimentale, histoire, roman épistolaire, philosophie, mangas, blogs, drame, autofiction, littérature documentaire, roman naturaliste, littérature jeunesse, fables, romans gothiques, romans d’aventures, roman noir, littérature d’espionnage, journaux intimes, biographies, mémoires, littérature du réel, journalisme gonzo, pamphlets ou littérature de contrainte. Il maitrise aussi l’art de l’interview, du silence, du tempo, de la question que personne n’a vu venir, de celle qu’on n’oserait pas poser, de l’hésitation fructueuse, de la remarque de dernière minute, de l’inspiration, de l’écoute, de la répartie, de l’envolée et du triple saut périlleux, mais toujours avec le sourire. Après avoir écouté Bookmakers, non seulement vous aurez une furieuse envie d’écriture, au point de vous mettre derrière votre clavier, voire de vous acheter un stylo neuf et une ramette de papier, mais vous ferez aussi la fortune de la librairie la plus proche de chez vous et la joie des bibliothécaires du voisinage car vous serez pris d’une irrépressible envie de lecture et vous constituerez chez vous des piles de livres à lire pour plus tard. Avec Bookmakers, Richard Gaitet fera de vous un lecteur ou une lectrice insatiable, un critique littéraire aux arguments aiguisés, un spécialiste capable de repérer les alexandrins cachés dans les paragraphes de prose, un athlète du verbe, un as de la note en bas de page, un corneur de page ou un adepte du marque page, un détenteur d’ex libris, un prescripteur ou une prescriptrice capable d’offrir ou de prêter le livre idéal pour chaque circonstance, un adepte de la citation automatique, un lecteur ou une lectrice qui saura naviguer de Daniel Pennac à Mona Cholet en passant par Chloé Delaume, Alice Zeniter, Justine Niogret, Mohamed Mbougar Sarr, Laura Vazquez, Natacha Appanah, Philippe Jaenada, Constance Debré, Bertrand Belin, Wouajdi Mouawad, Pierre Michon, Nancy Huston, Claude Ponti, Céline Minard, Jakuta Alikavazovic, Andre Markowicz, Laurent Chalumeau, Pierre Christin, Maria Pourchet, Alain Damasio, Nicolas Mathieu, Lola lafon, Dany Laferrière, ou Tristan Garcia.Bref, lecteur et non lecteur, lectrice et non lectrice, écrivain en devenir, autrice en germe, libraire dans l’âme, éditeur ou éditrice en devenir, bibliothécaire ou bibliophile, ce podcast est pour vous, un podcast qui vous chuchote la littérature directement dans vos petites oreilles.