Aux sources du vote FN/RN (2) : concurrences et solidarités dans les campagnes en déclin

Il faut évidemment refuser le discours dominant selon lequel les classes populaires seraient passées à l'extrême droite. Tenu aussi bien par des néolibéraux que par des idéologues ou des politiciens proches du FN/RN, ce discours valide les prétentions de ce parti : être devenu le parti du peuple, des ouvriers, des gens "modestes", de la classe travailleuse. Du côté du pouvoir néolibéral et de ses porte-voix, il s'agit - dans un mépris de classe évident - de renvoyer les classes populaires à une forme d'incompétence culturelle et de déviance politique : le peuple serait prompt à succomber comme un seul homme à l'autoritarisme et au racisme (alors même que c'est un gouvernement néolibéral qui mène actuellement des politiques autoritaires, anti-migrant·es et islamophobes). Pour autant, on ne devrait pas faire l'autruche en prétendant que les classes populaires seraient allergiques à l'extrême droite : il y a des franges de ces classes et des territoires populaires dans lesquels on vote assez largement - ce qui ne veut pas dire unanimement - pour le FN/RN. Il n'y a pourtant pas grand-chose de "social" dans le programme du FN/RN, et encore moins de propositions qui amélioreraient nettement les conditions de vie des classes populaires. Il importe donc d'interroger les logiques sociales qui conduisent malgré tout à voter à l'extrême droite. C'est de ces logiques dont on discute dans cet épisode avec le sociologue Benoît Coquard, spécialiste des classes populaires rurales et auteur d'un livre marquant il y a quelques années, "Ceux qui restent" (éditions La Découverte), où il relate une enquête par immersion et de long terme dans ce qu'il nomme les campagnes en déclin. Ayant rencontré en chemin la question de la politisation et du vote, sa recherche permet de comprendre comment, dans des territoires ruraux désindustrialisés, la politisation se construit en grande partie dans le cadre des "bandes de potes", c'est-à-dire dans les formes de solidarité qui naissent et s'entretiennent en bonne partie pour résister à la précarisation, à la montée des concurrences et des incertitudes, ou encore dans les processus de construction des masculinités ou de marginalisation des femmes (sur le marché du travail ou dans les sociabilités). C'est tout cela, sur fond de légitimation du racisme et de stigmatisation des "assistés" dans l'espace public, qui conduit concrètement à rendre l'extrême droite quasi-hégémonique dans certains territoires populaires, à amener certain·es à penser que voter pour le FN/RN c'est se ranger du côté des "gens biens".

Om Podcasten

Chaque mois, Ugo Palheta décortique le fascisme, non par fascination morbide pour les pires tendances de notre monde, mais pour regarder en face le danger, sans jamais séparer cette exploration de la lutte pour un autre monde. Dans "Minuit dans le siècle", on parle donc de l'histoire du fascisme et de ses transformations, des différentes variétés de fascisme à travers le temps et l'espace, de l'électorat des extrêmes droites contemporaines, des rapports entre capitalisme et fascisme, entre fascisme et racisme ou entre fascisme et colonialisme. On analyse aussi la manière dont les fascistes investissent aujourd’hui des terrains nouveaux (écologie, droits des femmes, etc.), ou encore les complicités qu'ils trouvent au sein des élites économiques, politiques et médiatiques. On explore enfin les mobilisations antifascistes du passé et les luttes menées au présent, les stratégies qui ont été et sont mises en œuvre par les mouvements antifascistes, avec succès ou non. "Minuit dans le siècle" est un podcast produit pour le site indépendant Spectre, et disponible sur toutes les plateformes d'écoute.